« Quand arriva le jour de la Pentecôte, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain vint du ciel comme un violent coup de vent. Tous furent remplis d’Esprit Saint et ils se mirent à parler, chacun selon le don de l’Esprit » (cf. Ac 2,1-11).

Frères et sœurs, l’Eglise est née un jour de Pentecôte. Permettez-moi de vous proposer aujourd’hui une petite méditation sur l’Eglise.

Il y a quelques années, j’ai assisté à un mariage exclusivement civil. J’ai été approché par plusieurs personnes qui m’ont dit : « Je suis athée. » J’ai senti que derrière cette profession affirmée « Je suis athée », leur cœur était tout de même un peu touché par l’Evangile. Et je me suis rappelé la phrase de Michel Salamolard, prêtre Valaisan alors rédacteur en chef de « Paroisses vivantes », l’équivalent suisse du journal « Dimanche », : « Il y a au fond des gens une nappe phréatique d’Evangile (…) mais ils ne se reconnaissent pas dans les mots de l’Eglise. » De fait, par mes interlocuteurs à ce mariage l’Eglise est perçue comme une machine puissante, coercitive même.

Je me suis dit qu’il y a là tout de même un reproche un peu fondé. L’Eglise, prolongement du Christ dans l’aujourd’hui, doit être pauvre à l’image de celui qui fut le plus grand pauvre de tous les temps. Tout dans la vie du Christ est pauvreté, de A à Z, depuis la mangeoire de Bethléem jusqu’à la croix du Calvaire. L’Eglise est la barque de Pierre, un frêle esquif ; ne se dénature-t-elle pas lorsqu’elle devient un puissant vaisseau ?

Il faut le reconnaître : l’Eglise a des faiblesses et même des péchés. Elle est la barque de Pierre, un rafiot vieux de deux mille ans. Et trop souvent l’équipage passe une bonne partie de son temps à se chamailler. Les uns voudraient refaire le vieux rafiot tout à neuf et misent sur des changements structurels. Les autres pensent que la véritable réforme doit venir d’un ressourcement spirituel ; ils disent : on s’occupe trop des canalisations et pas assez des sources !

L’Eglise vit des tensions. Incontestablement, elle a des défauts et des manies. Et comme on peut perdre patience devant les manies de ses parents, il peut nous arriver d’être durs vis-à-vis d’elle.

Cinq petites réflexions tout simplement.

Un : l’Eglise est faite de pauvres pécheurs : nous. En conséquence, il ne faut pas rêver d’une Eglise qui, telle une montgolfière au-dessus des villages et des pâturages, planerait au-dessus des faiblesses et des tensions. L’Eglise a des défectuosités. Mais n’est-il pas bien d’aimer une handicapée ?

Deuxièmement : attention de ne voir que l’architecture externe de l’Eglise, et pas assez le mystère. La vision de l’Eglise n’est-elle pas trop souvent faussée par le regard extérieur des médias ou l’animosité ? Si je reste en dehors d’une église, les vitraux ne me permettent pas d’en voir vraiment le dedans. Par contre, tout s’illumine si je pénètre à l’intérieur.

Ne devons-nous pas toujours apprendre à porter sur l’Eglise un regard intérieur, profond : le regard de la foi ? L’Eglise, si facilement décriée, est néanmoins sacrement du salut pour le monde. L’Eglise qui, comme le Temple de Jérusalem, a parfois besoin d’un bon coup de balai, est pourtant corps mystique du Christ.

Le Christ fait réellement corps avec l’Eglise. Il est vrai que l’Eglise est un rafiot vieux de nos trahisons et de nos lâchetés. Mais n’oublions pas non plus que son patron, c’est quelqu’un : même le vent et la mer lui obéissent ! Et quelqu’un qui est marié avec elle. C’est pourquoi ce n’est pas de si tôt que le vieux rafiot sera conduit au cimetière des bateaux !

Troisième réflexion. Nous devons nous garder de toute arrogance, de toute enflure, mais tout de même oser la visibilité. Oser la visibilité, parce que nous sommes dépositaires pour le monde d’un trésor. « Parfois – dit le bon Pape François dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (La Joie de l’Evangile) – nous perdons l’enthousiasme pour la mission en oubliant que l’Evangile répond aux nécessités les plus profondes des personnes » (265). Et un peu plus loin, il s’exclame : « l’Evangile, le plus beau message qui existe en ce monde » (277).

Quatrième réflexion. Ne soyons pas désemparés parce que notre société n’est plus guère chrétienne. Être chrétien dans une société qui ne l’est guère est une situation relativement traditionnelle dans l’histoire de l’Eglise.

Notre Eglise a été, la dernière décennie, maintes fois dans la tourmente à cause de certains de ses acteurs pastoraux. Et nous en sommes affectés. Ne soyons pas désemparés par une Eglise qui ploie et qui souffre. L’agonie et la Passion de Jésus ne peuvent pas ne pas marquer la vie de l’Eglise si l’Eglise est réellement le corps du Christ. Ayons la foi qu’à travers l’évènement pascal, la Résurrection, l’Eglise est toujours en état de naissance.

Je termine par une cinquième réflexion tout aussi essentielle.

Alors que la pastorale doit être pensée et organisée dans un cadre territorialement plus étendu, il convient de tenir présent que ce qui importe surtout, ce n’est pas ce que nous planifions pour demain, c’est ce dont rêve Dieu pour son Eglise.

Nous sommes conviés à inventer des voies nouvelles mais, comme les Apôtres au sortir du Cénacle, sous la mouvance de l’Esprit. Si nous voulons non pas être à notre propre compte, mais agir au nom du Seigneur, la prière est indispensable.

Ma reconnaissance va aux consacré(e)s qui rappellent que Dieu vaut la peine qu’on lui consacre tout, ou encore que celui qui doit donner beaucoup d’eau doit s’attarder plus longuement à la source. Et je remercie les communautés paroissiales où l’on promeut la prière, qui est accueil de Dieu, qui donne d’apporter aux hommes et aux femmes non ses propres richesses mais les trésors de Dieu, et de faire non du bien mais des miracles.

Homélie prononcée par Mgr Warin, Virton, installation comme doyen de Wenceslas Mungimur, Pentecôte, 2021.